Le texte suivant fait partie d’un triptyque que vous pourrez trouver ici.
Elle est là, tapie, tranquille, elle attend son heure et son heure vient toujours. Tu peux fermer les yeux, elle est encore là…
Tu la portes sur toi, tu la trimballes malgré toi, partout t’accompagne, tout le temps, tout temps…
C’est un jour de grand soleil, tu te promènes dans la foule, anonyme, tu écoutes le bruit des conversations, tu remarques l’enfant qui dort dans la poussette, les donzelles volubiles, le monsieur qui s’écoute parler, le jeune-homme timide qui voudrait tellement, l’enfant qui demande, la dame qui veut passer devant tout le monde, tu regardes encore et encore, tu regardes tout le temps, par tout temps.
Et tu souris, toujours, tu souris à qui demande son chemin, à qui demande une pièce, à qui te regarde, à qui te parle, à qui te reconnaît, tu es le monsieur qui sourit, le gentil monsieur qui sourit.
Elle est toujours là, pourtant, tapie, tranquille, elle attend son heure et son heure vient toujours. Tu peux boucher tes oreilles, elle est encore là…
C’est un jour de grand soleil, une dame bien habillée te demande si tu veux vivre une expérience amusante, tu dis oui en souriant, évidemment. Elle te fait asseoir sur une scène, la foule continue de passer devant toi, la dame te demande de fermer les yeux d’une voix douce et elle pose un casque sur tes oreilles. Tu voudrais ne pas être là mais il y a bien longtemps que tu ne sais plus dire non alors tu fermes un peu plus les yeux et tu attends en souriant, tu ne voudrais pas décevoir la gentille dame, tu sais déjà que tu trouveras ça amusant, tu sais déjà que tu diras merci, quoi qu’il arrive.
Et ça commence, quelque chose comme de la musique, tu ne sais pas bien, tu crois que tu n’y connais rien en musique, c’est lent d’abord puis ça s’accélère, c’est moderne, un peu bruyant, de plus en plus bruyant, et tu souris, encore, et tu souris pour la gentille dame, tu souris pour la foule qui passe, tu souris pour le photographe, tu souris pour l’enfant qui dort dans la poussette aussi, tu souris pour chaque personne qui te regarde, peut-être, au cas où, on ne sait jamais…
La musique s’arrête. Tu ouvres les yeux. Tu souris à la dame et tu dis merci beaucoup.
C’est un jour de grand soleil et tu continues à avancer, nez au vent, à te goinfrer de lumière, à chercher la chaleur des conversations, des gens, des arbres, de la ville et toujours tu souris, toujours, à tout et à tous, tu brandis ton sourire comme d’autres affichent leur différence, tu n’as pas de petit crocodile sur ta chemise, pas de marque sur tes chaussures, pas de téléphone greffé à ta main mais tu as ton sourire. Tu es le gentil monsieur qui sourit.
Elle est toujours là, pourtant, tapie, tranquille, elle attend son heure et son heure vient toujours. Tu peux fermer les yeux, tu peux boucher tes oreilles, tu peux même l’oublier, parfois… elle est encore là…
Ton sourire, monsieur qui sourit, je le connais.
Dans ton sourire, moi, je lis ta honte.
Ta honte qui est aussi la mienne.
Notre honte qui est sourire, notre honte qui est courage.
Ton sourire, monsieur qui sourit, c’est aussi le mien.
Alors souris, monsieur qui sourit, souris tu as raison, souris encore et toujours, si tu ne sais pas pourquoi tu souris alors souris pour moi, pour nous, pour ceux qui ne savent plus, pour ceux qui ne sont pas parfaits et qui le savent, pour ceux qui n’ont plus que la colère ou la haine pour s’exprimer, pour ceux qui se sont blindés, pour ceux qui n’osent pas, pour ceux qui voudraient, pour ceux qui espèrent, pour ceux qui désespèrent, souris pour les petits, souris pour les faibles, souris, s’il te plaît, continue de sourire et porte l’espoir comme tu portes la honte, aussi, comme je la porte sans la dire de peur qu’un jour elle sorte de l’ombre…
C’est un jour de grand soleil. Je marche dans la foule. Autour de moi ça parle, ça marche, ça court, ça vit. C’est déjà ça.
Alors sourions.